Page:Claudel - Connaissance de l’est larousse 1920.djvu/97

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vieil arbre dans le vent, enfant balancé parmi les pommes. De là comme un dieu sur sa tige, spectateur du théâtre du monde, dans une profonde considération, j’étudie le relief et la conformation de la terre, la disposition des pentes et des plans ; l’œil fixe comme un corbeau, je dévisage la campagne déployée sous mon perchoir, je suis du regard cette route qui, paraissant deux fois successivement à la crête des collines, se perd enfin dans la forêt. Rien n’est perdu pour moi, la direction des fumées, la qualité de l’ombre et de la lumière, l’avancement des travaux agricoles, cette voiture qui bouge sur le chemin, les coups de feu des chasseurs. Point n’est besoin de journal où je ne lis que le passé ; je n’ai qu’à monter à cette branche, et, dépassant le mur, je vois devant moi tout le présent. La lune se lève ; je tourne la face vers elle, baigné dans cette maison de fruits. Je demeure immobile, et de temps en temps une pomme de l’arbre choit comme une pensée lourde et mûre.