Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sa condition. Ce désir de plaire ne pouvait m’être indifférent, puisque c’était une preuve que je lui plaisais, et ce dernier point, je vous l’assure, n’était pas au-dessous de mon ambition.

Sa chevelure élégamment arrangée, du linge propre et surtout une bonne figure de campagnard robuste, frais et bien portant, en faisaient pour une femme le plus joli morceau du monde à croquer, et j’aurais tenu pour tout à fait sans goût celle qui aurait dédaigné un pareil régal offert par la nature à une gourmande de plaisir.

Et pourquoi déguiserais-je ici les délices que me faisait éprouver cet être charmant avec ses regards si purs, ses mouvements si naturels, d’une sincérité qui se lisait dans ses yeux ; avec cette fraîcheur et cette transparence de peau qui laissait voir, au travers, courir un sang coloré ; avec même cet air rustique et vigoureux qui ne manquait pas d’un charme particulier ? Oh ! me direz-vous, ce garçon était de condition trop basse pour mériter tant d’attentions ! D’accord, mais ma propre condition, à bien considérer, était-elle donc d’un cran plus élevée, ou bien, en supposant que je fusse réellement au-dessus de lui, la faculté qu’il avait de procurer un plaisir si exquis ne suffisait-elle pas à l’élever et à l’ennoblir, pour moi tout au moins ? À d’autres d’aimer, d’honorer, de récompenser l’art du peintre, du statuaire, du musicien, en proportion de l’agrément qu’ils y trouvent ; mais à mon âge, avec mon goût pour le plaisir, l’art de plaire dont la nature avait doué une jolie personne était pour moi le plus grand des mérites. M. H…, avec ses qualités d’éducation de fortune, me tenait sous une sorte de sujétion et de contrainte fort peu capables de produire de l’harmonie dans le concert d’amour, tandis qu’avec ce garçon je me trouvais à l’aise sur le pied d’égalité, et c’est ce que l’amour préfère. Je pouvais sans peur ni contrainte