Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/261

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d’attitude et me courbant sur la table, il allait passer à côte de la bonne porte et frappait désespérément à la mauvaise, je me récrie :

« Peuh ! dit-il, ma chère, tout port est bon dans la tempête. »

Cependant il changea de direction et prit celle qu’il fallait avec un entrain et un feu que, dans la belle disposition où je me trouvais, j’appréciai au point de prendre l’avance sur lui.

Après que tout se fut passé et que je fus devenue un peu plus calme, je commençai à craindre les suites funestes que cette connaissance pouvait me coûter, et je tâchai en conséquence de me retirer le plus tôt possible. Mais mon inconnu n’en jugea pas ainsi ; il me proposa d’un air si déterminé de souper avec lui, que je ne sus comment me tirer de ses mains. Je fis pourtant bonne contenance et promis de revenir dès que j’aurais fait une commission pressante chez moi. Le bon matelot, qui me prenait pour une fille publique, me crut sur ma parole et m’attendit sans doute au souper qu’il avait commandé pour nous deux.

Lorsque j’eus conté mon aventure à Mme Cole, elle me gronda de mon indiscrétion et me remontra le souvenir douloureux qu’elle pourrait me valoir, me conseillant de ne pas ouvrir ainsi les cuisses au premier venu. Je goûtai fort sa morale et fus même inquiète pendant quelques jours sur ma santé. Heureusement mes craintes se trouvèrent mal fondées ; je suspectais à tort mon joli matelot : c’est pourquoi je suis heureuse de lui faire ici réparation.

J’avais vécu quatre mois avec Mr. Norbert, passant mes jours dans des plaisirs variés chez Mme Cole et dans des soins assidus pour mon entreteneur, qui me payait grassement les complaisances que j’avais pour lui et qui fut si satisfait de moi qu’il ne voulut jamais chercher d’autre