Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/293

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qu’une telle supposition serait plus injurieuse pour la vertu que pour moi-même ; en effet, en toute candeur et bonne foi, elle ne peut reposer que sur la plus fausse des craintes, à savoir que les plaisirs de la vertu ne sauraient soutenir la comparaison avec ceux du vice. Eh bien ! qu’on ose montrer le vice sous son jour le plus attrayant, et vous verrez alors combien ses jouissances sont vaines, combien grossières, combien inférieures à celles que la vertu sanctionne. Et celle-ci non seulement ne dédaigne pas d’assaisonner le plaisir des sens, mais elle l’assaisonne délicieusement, tandis que les vices sont des harpies qui infectent et souillent le festin. Les sentiers du vice sont parfois semés de roses, mais toujours aussi infestés d’épines et de vers rongeurs ; ceux de la vertu sont uniquement semés de roses, et ces roses ne se fanent jamais.

Donc, si vous me rendez justice, vous me trouverez parfaitement en droit de brûler de l’encens pour la vertu. Si j’ai peint le vice sous ses couleurs les plus gaies, si je l’ai enguirlandé de fleurs, ce n’a été que pour en faire un sacrifice plus digne et plus solennel à la vertu.

Vous connaissez Mr. C… O…, vous connaissez sa fortune, son mérite, son bon sens : pouvez-vous, oserez-vous prononcer que lui, du moins, avait tort lorsque, préoccupé de l’éducation morale de son fils et voulant le former à la vertu, lui inspirer un mépris durable et raisonné du vice, il consentait à se faire son maître de cérémonies et à le conduire par la main dans les maisons les plus mal famées de la ville, pour le familiariser avec toutes ces scènes de débauche si propres à révolter le bon goût ? L’expérience, direz-vous, est dangereuse. Oui, sur un fou ; mais les fous sont-ils dignes de tant d’attention ?