Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/65

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étaient si grandes qu’il était important qu’elle eût, pendant toute la nuit, une personne pour la veiller.

« Les préliminaires furent ainsi établis ; comme les servantes vont généralement le soir prendre possession de leurs places, la fille innocente, qui s’était présentée à elle, fut conduite dans une chambre très sombre, parce que les yeux de la dame étaient dans un si triste état qu’ils ne pouvaient pas supporter la lumière. À dix heures, toute la maison était tranquille, et chacun paraissait être livré au sommeil ; mais, avant de se livrer au repos, on avait eu un bon souper. On accorda à la fille, qui avait fort bon appétit, la permission de souper avec Mme Charlotte ; on lui donna de la forte bière et, pour lui montrer qu’elle serait bien traitée, on la favorisa d’un verre de vin ; les esprits de Nancy étant ainsi animés, elle se coucha dans le lit qui était dressé auprès de celui de sa vieille maîtresse supposée. Quand, hélas ! la pauvre innocente fille se trouve dans son premier sommeil entre les bras du lord Cn, du lord Bke ou du colonel L…, elle se plaint de la supercherie ; les cris qu’elle jette n’apportent aucun soulagement à sa situation, et, voyant qu’il lui est inévitable d’échapper à son sort, elle cède probablement. Le lendemain matin, elle se trouve seule avec quelques guinées et la perspective d’avoir une nouvelle robe, une paire de boucles d’argent et un mantelet de soie noire. Ainsi trompée, il n’y a plus de grandes difficultés de l’engager à quitter cette maison et de se rendre dans le séminaire établi dans King’s-Place, afin de faire place à une autre victime qui doit être sacrifiée de la même manière.

« Quand ces ressources ne remplissaient pas suffisamment les projets de Charlotte, elle avait recours aux avertissements qu’elle faisait insérer dans les papiers du jour, qui souvent lui produisaient l’effet désiré et lui procuraient,