Page:Clemenceau-Demosthene-1926.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
DÉMOSTHÈNE

me demande comment Philippe est venu à bout de presque toutes ses entreprises, tous répondent par ses armées, par ses largesses, par ses corruptions répandues sur tous ceux qui gouvernaient. Pour moi, je n’étais ni le maître, ni le chef de nos troupes. Je ne dois pas compte de ce qu’elles ont fait. Mais, en ne me laissant pas corrompre par Philippe, j’ai vaincu Philippe. Le corrupteur triomphe quand on prend son or : il est vaincu quand on le rejette. Ma patrie a donc été invaincue dans ce qu’il a dépendu de moi.

Voilà comment parle le vaincu de Chéronée. Le peuple athénien lui concéda l’espoir d’une revanche. A quel prix ? L’histoire poursuit fatalement son cours pour l’heur et le malheur de notre humanité. Eschine vaincu, il restait Démosthène et Philippe. Le drame se déroule dans son imperturbable cruauté. Aux fatalités de ses conditions irrésistibles, il faut que l’homme ajoute l’achèvement de ses propres résistances aux plus belles destinées. La force de vouloir est aux prises avec la faiblesse de ne pas oser. Un orgueil magnifique nous tient de nous voir porteurs de l’idée : vertige du sommet qui tente les ailes de la pensée. Avonsnous donc rempli notre mérite quand, l’outil de notre grandeur en main, nous nous montrons incapables d’un autre effort que de nous admirer ? Si nous nous découvrons capables de comprendre le plus haut emploi de nous-mêmes, sinon de le réaliser, si l’impulsion de désintéressement nous