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AU SOIR DE LA PENSÉE

déroulent leurs spectacles parmi les fumées de l’encens. Quelle Divinité pourrait prendre plaisir à ce pauvre clinquant ? Aussi, n’est-ce qu’à la puérilité des enthousiasmes populaires que s’adresse l’éclat de l’éblouissant défilé. Misère ou fierté, je suis un de la foule, moi. Et puisque je me vois par vous convié à m’ébahir de vos mystiques trésors, ne pourrais-je point m’enquérir de quel poinçon frappés ? Vérité universelle, dites-vous ? Pourquoi ne puis-je franchir le fleuve ou la montagne sans trouver une autre vérité dogmatique non moins universelle et non moins différente ? La seule vérité universelle ne serait-elle point de ces relativités humaines, si chèrement acquises qui finissent par emporter l’assentiment de tous en tous pays ?

Vous m’enjoignez de me taire ? Pour l’emporter sur nous, votre Divinité a-t-elle donc besoin de silence ? Dites par quels moyens vous entendez empêcher les hommes de penser. L’infaillibilité du sacerdoce, en cela tout au moins, le montre trop faillible. Sous l’épouvante de vos feux, des hommes ont parlé. Nous avons appris d’eux à connaître quelque chose du monde et de nous-mêmes. Les temps de la polémique sont passés. Il suffit aujourd’hui d’une sommaire récapitulation des connaissances acquises pour que l’homme pensant succède à l’homme rêvant, par la vertu d’une expérience vérifiée.

De tous les temps fut le besoin d’une récapitulation de nos connaissances. Erreurs ou vérités, la dispersion du savoir incertain laisse l’intelligence sans coordination de repères dans la forêt obscure de l’inexprimable inconnu. La plus superficielle observation a besoin de se corroborer d’une autre, pour un mutuel état de probation. Une connaissance isolée n’est pas une « connaissance » ; ce n’est, ce ne peut être, aux rencontres de l’homme et du monde, qu’un vain éclair de sensation inutilisée. Dès l’origine, les premiers humains ont tendu à associer leurs sensations pour déterminer des mouvements de rapports. Et quand des trésors d’indications approximatives ont pu se colliger en une chanceuse formule de généralisation ; l’idée d’une « connaissance générale », d’une « compréhension universelle », s’est imposée à eux comme d’une suprême conquête des choses — prise de possession d’une ambiance inconnue.

Hasardeusement fondées, des doctrines se sont ainsi fait