Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/203

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
AU SOIR DE LA PENSÉE

rions désavouer le rêve sans renoncer, du même coup, aux plus hautes envolées de la vie. Qu’est-ce donc, en effet, qui nous rapproche chaque jour davantage du stage d’évolution supérieure où nous pouvons aspirer pour le suprême tête-à-tête de la conscience humaine et de cet univers dont elle est la plus haute manifestation. Qu’est-ce donc qui nous permettra de nous efforcer, par l’idée, vers notre prochaine ascendance d’évolution ?

Pascal, affrontant le mystère, s’est demandé si l’obsession d’un rêve répété ne serait pas l’équivalence d’une pensée vécue. Un roi, dit-il, qui dans une succession de nuits se rêverait artisan, ne serait-il pas de même fortune qu’un artisan qui, dans une succession de nuits, se rêverait roi ? Attirance et terreur d’un néant de la vie ! Recherche d’une issue d’irréel pour des obsessions de réalité.

Si l’observation et le rêve sont véritablement d’une même activité fonctionnelle avec des diversités d’issues, aux chocs toujours changeants du monde extérieur, si les sensations n’emmagasinent qu’une somme de retentissements dont l’organisme fait sa dépense selon les invitations du moment, on comprend que le phénomène puisse se poursuivre en des reprises différentes de sensations associées. Si d’exorbitantes réserves de puissances imaginatives ont fait et font encore échec aux chanceux battements d’une expérience troublée, il s’explique très bien qu’une éventuelle balance s’établisse tôt ou tard des correspondances du rêve et de la pensée dans les complexités d’un Moi dont l’apparente fixité n’est que de mouvements continus. La déconcertante question de Pascal me paraît donc tout prêt d’une tautologie. Roi ou artisan de rêve pendant une moitié de la vie, avec une contre-partie d’artisan ou de roi de positivité pendant une autre moitié, il faudrait, pour déterminer l’intérêt de ce partage, pouvoir établir un bilan comparatif des sensations diversement composées. La sensation du réel sera probablement plus forte puisque la sensation du rêve n’en est qu’un contre-coup. En revanche, la sensation du rêve pourra être plus belle par l’effort d’idéalisme harmonieux dont l’imagination peut disposer. Cela ne change rien du problème. De quelque façon que rêves et pensées se distribuent, il se fait un accord de retentissements aux sensibilités de la vie, et la conclusion sera toujours d’une équivalence d’énergies plus ou moins heureusement ordonnées.