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AU SOIR DE LA PENSÉE

tenté d’y introduire des méthodes d’observation, et même y ont quelquefois partiellement réussi. Aussi longtemps qu’on s’en tiendra à des jeux d’abstractions trop prompts à nous détourner de l’objectivité des phénomènes organiques, le champ de la connaissance ne pourra s’éclairer. Où en seraient les vues générales de notre pathologie sans les lumières qui jaillissent d’une anatomie, d’une physiologie, d’une pathologie comparées ?

Si obstinément qu’elle ait pu être poussée, l’étude des fonctions cérébrales n’en est pas beaucoup plus avancée qu’au début des observations d’autopsie. La description anatomique est devenue beaucoup plus fine. Mais, pour les rapports de l’organe avec les activités psychiques, nous avons à peine dépassé les premiers tâtonnements.

De la pathologie, jusqu’à présent, nous vient le meilleur secours. Au premier rang des chercheurs, Broca crut, d’après des lésions constatées, pouvoir fixer à la troisième circonvolution frontale gauche la localisation de la faculté du langage. Mais le docteur Pierre Marie paraît avoir solidement réfuté cette attribution. Y a-t-il même un « centre sensoriel du langage ? » On ne sait. M. Pierre Marie montre comment l’interprétation de Broca fut hâtive. Sur des observations précises, il établit qu’on peut parler sans aucun trouble quand la troisième circonvolution frontale gauche est détruite, et qu’il est des cas de l’aphasie de Broca sans lésion de cet organe. « La troisième circonvolution frontale gauche, conclut-il, ne joue aucun rôle spécial dans la fonction du langage[1]. »

Le problème est d’une telle complexité que la question d’une localisation, plus ou moins ingénieusement poursuivie, serait peut-être la moindre des difficultés. Ne faudrait-il pas, d’abord, chercher, dans le dédale des conductions cérébrales, les conjugaisons des appareils sensoriaux génératrices d’un complexe de rapports. Et comment serait-il possible de pousser la science de l’homme pensant, si nous n’arrivions pas à comprendre qu’elle se fonde irrésistiblement sur l’étude des processus de mentalités antérieures dont elle est dérivée ? Par les recherches à venir d’une psychologie comparée dans les développements des

  1. Traité de pathologie médicale et de thérapeutique appliquée. Neurologie, t. I. Revue française de médecine et de chirurgie, numéros 3, 4, 9.