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COSMOGONIES

immense plateau où se répand une vie grouillante d’hommes et de Dieux confondus. Tous les Bouddhas concevables frémissant d’une gravité joyeuse dans la pierre ou le bois, au hasard des hommages. Des statues, des chapelles, des sanctuaires, qu’on ne peut pas compter. De hautes cathédrales de bois doré, dans tous les raffinements de la ciselure asiatique.

Parmi leurs soies chatoyantes plaquées sur d’innocentes nudités, les jeunes Birmanes au doux sourire, sous leur diadème des cheveux noirs, viennent présenter au Dieu leurs petites poupées vivantes. On se prosterne, on touche la terre du front, on dépose une fleur et le Dieu est content. Le nôtre ne se tient pas pour satisfait à si bon compte. Suffit-il donc de cet hommage au premier Bouddha de rencontre, ou doit-on l’offrir à des successions d’images, cela dépend des vœux qu’on a pu faire. Chacun agit à sa guise. Dans la foule compacte, aimablement souriante, chacun se répand en respectueux émois d’une douce bonhomie. Tout atteste le parfait contentement d’esprits simplistes en pleine possession de l’ultimité des choses.

De petites échoppes, partout installées, pourvoient aux besoins de la coquetterie. Sous les yeux d’un public indifférent, de jeunes femmes donnent la dernière main à leurs draperies et même d’un léger pinceau avivent l’éclat du visage, pour paraître devant le Dieu, au dernier point de leur beauté. Des installations volantes de marchands arrêtent les curieux. Assis sur le sol, quelques-uns déjeunent. La piété publique n’interdit pas les soins du corps. Parmi la foule, des volées de pigeons familiers, à qui vous pouvez jeter la poignée de grains constituant à votre profit un « mérite », par le moyen duquel vous serez infailliblement sauvé de quelque mauvais stage de la métempsychose pour avoir aidé votre « prochain ». Ce dernier mot, ici, est d’une autre envergure que chez nous.

Enfin, comme il ne suffit pas toujours de rappeler Dieu à l’homme, on s’est avisé de rappeler l’homme à la Divinité, qui, quelquefois, en effet, paraît l’oublier. Donc, de pieux personnages font retentir sous leur marteau des plaques de métal sonore, dont l’effet est de rappeler au dispensateur universel qu’il y a des hommes sous le ciel et qu’il est bon de s’occuper d’eux. Des vieilles femmes, pour confirmer l’appel, s’approchant timidement d’une caisse de verre où elles ont la satisfac-