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LES HOMMES, LES DIEUX

cessus de dénominations semblable à celui par lequel débute tout enfant : l’imitation d’un son, non pour le vain plaisir d’une inutile répétition, mais — et c’est là que commence le véritable phénomène mental — pour le besoin d’une notation qui permettra d’en évoquer le souvenir en vue d’un classement de rapports.

Que toutes sensations[1], dans leurs complexités, puissent s’exprimer par des complexités de sons, cela n’est pas plus surprenant que l’expression par gestes qui accompagne, chez l’homme et chez des animaux, les émissions de sonorités. Je n’ai garde de confondre les cris des animaux avec la parole articulée de l’espèce humaine. Cependant, avec ou sans les geste, une musique vocale diversement caractérisée, ou même la simple production d’un bruit d’élytres, exprime plus ou moins clairement des réactions de sensibilité selon que peuvent le réclamer les mouvements de l’organisme en action. Le rugissement du lion, les modulations du rossignol ou de la fauvette, le coassement de la grenouille, la note flûtée du crapaud ont, selon le cas, des nuances d’expression. On se donne une inutile peine pour montrer l’abîme de l’émission de voix à la parole articulée.

Le cri est, pour les organismes de la série vivante, un mode primitif d’expression spontanée, conforme aux besoins du moment. Nous ne pouvons suivre à la course ni le cerf, ni le lièvre, ni l’oiseau. L’une de nos revanches est dans la parole articulée. Non pas que l’oiseau, à son tour, soit incapable de sons articulés, le perroquet, l’étourneau, le bouvreuil en témoignent — mais ils n’y voient qu’une gymnastique d’imitation sans aucun rapport avec le sens que nous y attachons. Buffon a remarqué que si le singe était capable d’articuler comme le perroquet, nous ne pourrions l’entendre sans être vivement impressionnés. Cette fantasmagorie nous est épargnée. Ce n’est pas une raison pour aggraver la distance de l’animal à l’homme dans le champ des voies d’expression, en négligeant les indications encore subsistantes dans les passages de l’homme primitif à l’évolution d’humanité.

  1. Max Muller lui-même prend acte de ce que « Locke a le premier remarqué que tous les mots exprimant des conceptions immatérielles ont été dérivés métaphoriquement de mots qui signifiaient des idées sensibles ». Toutes les racines expriment des sensations.