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grandeurs et misères d’une victoire

un seul, mais je leur demande des comptes parce que l’homme est un mouvant aspect de vie universelle, parce qu’il a des heures et non pas, comme le voudraient les âmes simples, l’absolu de l’éternité. Napoléon, qui fut avec Alexandre et César l’un des génies humains de la guerre, ne se comprit même pas à Sainte-Hélène où, se jugeant d’un mot, forces et faiblesses compensées, il pouvait dépasser tout le commun des conquérants. Que nous importe d’ailleurs ? Où rencontrerons-nous l’homme capable de s’interpréter ? Qualités et défauts bien ou mal compensés, Foch fut un des éléments de la victoire. Le reste est de second plan.

Nous saisissons sur le vif les différents aspects de notre Français, quand, victorieux avec ses bons alliés, il a voulu et fait sa paix d’idéalisme raisonné mais que, pour son malheur, il s’en est rapporté, yeux clos, sans vouloir rien connaître au delà, à des hommes qui avaient été tout près de perdre la guerre et qui, par les mêmes moyens d’incohérence apeurée, en viendront peut-être à nous faire perdre la paix.

Pour nous sauver de l’abîme, je compte sur le hasard, la chance incalculable, les rencontres de l’inconnu qui ont une valeur mathématique dans les dispositions de l’énergie. L’histoire sera sévère pour le peuple français d’après-guerre, qui ne s’est pas montré à la hauteur de ses devoirs envers lui-même, aussi bien dans les champs de l’action que dans l’ordre de la sentimentalité. Il n’est besoin de mettre personne en cause. Chacun a pu juger. Le peuple français portera dans l’histoire une responsabilité de ce qu’il a fait, de ce qu’il a laissé faire, et du sort que, de ses mains, il se sera composé.