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l’insubordination militaire

tant en le relevant d’une disgrâce momentanée.

J’eus le tort de ne pas consulter M. Lloyd George qui ne s’embarrassait pas toujours de nos arrangements. Je ne sais qui[1] lui fit connaître que j’avais mis un général limogé à la tête de l’armée d’Orient. « Le plus grand vaincu de cette guerre » fut le surnom dont il le gratifia à cette occasion. Il m’accabla des reproches les plus violents en plein Conseil de Versailles. Je gardai tout mon calme et répondis simplement que je changerais le commandant en chef de l’armée d’Orient si M. Lloyd George me le demandait, mais que je ne le lui conseillais pas.

M. Sonnino me félicita d’avoir pu garder mon sang-froid, et M. Lloyd George, à la reprise de la séance, me proposa, le sourire aux lèvres, de rayer du compte rendu toute cette partie des débats, ce à quoi j’acquiesçai d’un signe de tête. Quand le général Franchet d’Esperey fut victorieux jusqu’à prétendre imposer, d’Orient, la paix sur le front d’Occident, je fis remarquer à mon collègue britannique que je n’avais pas si mal choisi :

— Il a eu de la chance, me répondit-il.

— C’est déjà bien, répliquai-je. Il y a tant de gens qui n’en ont pas.

En réalité, je n’avais fait que changer d’adversaire. Car le général Franchet d’Esperey me maltraita fort dans un article qu’il avait inspiré et qui fut relevé par M. Tardieu. Trop de nos militaires, et même de civils, ont une fâcheuse démangeaison de croire que le monde est fait pour eux

  1. Ou plutôt, je ne veux pas le savoir.