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grandeurs et misères d’une victoire

a bien, en effet, envoyé à la France une déclaration de guerre où il mettait à notre compte des actes imaginaires. Mais il avait préparé antérieurement, nous dit-on, un autre document, non moins officiel, où se trouvait alléguée, cette fois, la nécessité pour l’Allemagne de déclarer la guerre parce que la Russie avait commencé sa mobilisation. Seulement, par une incroyable malchance, ce document, qui ne contenait point de contre-vérité flagrante, ne fut pas celui que le Kaiser choisit de nous envoyer.

Qu’on nous dise pourquoi deux pièces différentes, interchangeables au dernier moment ? Et quelle preuve plus manifeste de duplicité ? Pourquoi est-ce donc la pièce chargée de mensonges qui fut remise par l’ambassadeur allemand au gouvernement français, tandis que le document qu’on invoque aujourd’hui demeurait à Berlin dans les tiroirs secrets de la Chancellerie ? Voilà ce qu’on ne nous dit pas, et ce qu’on ne peut pas nous dire parce qu’il faudrait avouer que la pièce invoquée aujourd’hui était à ce point jugée insuffisante par ses auteurs, qu’on préféra lui substituer, en dernière heure, une déclaration de guerre invoquant des faits non vérifiés. La mobilisation de la Russie était extrêmement lente. L’Allemagne, en aucun cas, ne courait le risque d’être surprise. Tout le monde sait, en outre, que mobilisation et déclaration de guerre sont deux opérations fort distinctes qui ne se commandent pas nécessairement[1].

  1. « Si la volonté de guerre n’avait pas préexisté, l’Autriche-Hongrie et la Russie auraient pu mobiliser et rester en état de mobilisation, comme pendant la crise bosniaque en 1908-1909, tandis que les autres grandes puissances se