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j’ai passé par toutes les maladies de l’enfance et de l’adolescence, abandonné à l’incurie ; j’ai poussé à l’aventure et gauchement. Ah ! si j’avais eu ma mère, elle m’aurait repétri et transformé, et je ne serais pas aujourd’hui un objet de dégoût et d’étonnement pour vous toutes, mesdames. Il continua presque en pleurant : Quand j’eus fini et doublé mes classes, il y a trois mois, les médecins décidèrent que je devais venir boire les eaux aux Pyrénées ; le travail, disaient-ils, m’avait causé à la gorge une inflammation que les eaux seules pouvaient guérir. Ils ne se doutaient point, ces savants docteurs, que mon sang, ma tête et mon cœur fermentaient. Vous ne devinez pas vous-mêmes, mesdames, ce qu’un écolier attentif peut puiser de ferment et de flamme dans l’étude approfondie de la poésie grecque et latine. Mon tuteur, me jugeant un jeune cuistre parcheminé, décida que je pouvais partir et venir seul ici sans danger ; il avait raison, cet oncle élégant, au cœur sec, qui régit mes revenus ; je suis un pauvre animal qui n’attire personne, pas même les jolies servantes d’auberge ; toutes me regardent avec ironie.

En parlant ainsi à Nérine, qui par son âge aurait pu être sa mère, il lança sur elle des regards si enflammés qu’il semblait jouer, avec son malheureux visage, une parodie de Chérubin auprès de la belle com-