Page:Colet - Lui, 1880.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 158 —

quelque énorme joyau de l’Orient moins éclatant que tes yeux.

Quand je parlais ainsi, Antonia m’entourait de ses bras et me disait avec une simplicité tendre :

— Mon pauvre Albert, tu me places trop haut : je ne suis qu’une vulgarisatrice de l’art et des sentiments ; c’est toi qui es le génie.

Parfois, il me semblait qu’elle disait vrai, et qu’elle n’arrivait qu’à une pénétration lente et réfléchie du beau, tandis que j’en avais l’intuition ou que j’en ressentais le choc soudain. Lorsque nous regardions ensemble quelque tableau de maître, les qualités dominantes lui échappaient d’abord ; elle en faisait ensuite une analyse raisonnée, un peu vague et parfois paradoxale. Moi, je ne disais rien ou ne disais qu’un mot ; mais je crois qu’il exprimait juste la pensée et le sentiment de l’artiste et l’effet que son œuvre devait produire. Quand nous allions le soir à l’Opéra, la musique que nous entendions éveillait aussi en nous des impressions divergentes. Les cris de passions vraies et caractérisées ne la frappaient pas ; elle était surtout émue par les morceaux d’ensemble religieux et par les chœurs exprimant des sentiments collectifs ; on eût dit qu’il lui fallait un assemblage d’âmes pour remuer la sienne. Dans ses ouvrages, ce que j’indique ici se constate plus clairement. C’est une intelligence flottante, éprise d’une sympathie universelle, qui se dilate à l’infini en charité, en amour, en utopie ; mais à qui le sens individuel et passionné échappe.