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de la Jérusalem délivrée. Mais il faut que la France la regarde en sœur et non en ennemie.

Et, se tournant vers moi, il ajouta :

— Vous, monsieur, qui êtes l’ami du jeune prince appelé à gouverner la France, pensez-vous qu’il soit intelligent, généreux et libéral autant qu’on nous l’a dit ?

— Je vous suis garant, répondis-je en élevant la voix, que rien de ce qui est noble ne lui est étranger, et que rien de ce qui est grand ne le sera à son règne. Je vous demande, messieurs, de lui porter un toast et d’y associer la France et l’Italie. Dès demain je lui écrirai votre sympathie.

Le consul leva le premier son verre, et nous bûmes tous à ce prince aimé qui devait vivre si peu.

Malgré la vivacité d’une causerie qui changeait à chaque instant d’objet, les vins mêlés, la saveur des mets et les heures dérobées au sommeil, dont nous sentions l’influence, commençaient à nous engourdir. La conversation devint moins générale, et bientôt chacun ne parla plus qu’à son voisin de table. J’avais à ma gauche un aimable érudit de cinquante ans, qui avait la plus belle bibliothèque de Venise : des documents inédits et les chroniques les plus rares sur l’histoire publique et privée des hommes célèbres de Venise s’y trouvaient réunis.

— En les parcourant, me disait mon interlocuteur, vous verrez revivre nos doges, nos magistrats, nos généraux, nos artistes, nos aventuriers et nos courtisanes.