Page:Colet - Lui, 1880.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 227 —

bas. Les fleurs tombaient en pluie aux pieds de Négra qui, sans rien voir, continuait à danser son rêve, si je puis m’exprimer ainsi ; tout à coup partageant l’ivresse commune, je fis comme la foule, je l’acclamai par son nom, je m’emparai des couronnes et des bouquets préparés par Stella et les lui lançai un à un ; le premier bouquet frappa contre son cœur ; elle l’y étreignit, le baisa et, par un mouvement plein de grâce, y reposa sa joue comme un enfant qui s’endort sur un oreiller. Ce geste fut applaudi par toute la salle ; les fleurs amoncelées autour d’elle l’ensevelissaient comme un poétique linceul. D’abord elle les écarta avec ses petits pieds, en dansant toujours ; mais insensiblement, comme prise de lassitude ou cédant à quelque extase de volupté, elle réunit en cadence, et en décrivant des pas aériens, tous ces bouquets épars, s’en fit un lit et s’y étendit avec grâce, la tête tournée vers moi. La toile tomba sur ce tableau.

Dans le libretto, elle devait se coucher ainsi aux pieds du pacha, mais ce comparse oublié s’était endormi en réalité sur ses coussins.

Les admirateurs passionnés, que la danse de Négra venait de lui susciter, accoururent dans les coulisses pour la féliciter ; je m’y rendis suivi de Stella, de son amant et de Zéphira, dont la rage étranglait la voix ; elle me poignardait de ses yeux aigus, et parfois son poing serré se levait pour me menacer.

Nous trouvâmes Négra à moitié évanouie dans un fauteuil ; le gros marchand arabe, dont elle m’avait