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— C’est elle ! c’est elle ! répéta-t-on aussitôt de toutes parts ; c’est la grande danseuse de la Fenice !

Plusieurs des invités l’avaient reconnue, et se mirent à l’applaudir comme au théâtre. Négra, confuse, n’osait approcher ; elle restait courbée devant Zéphira. Le comte Luigi, soit pour donner une leçon à sa maîtresse, soit qu’il cédât à un caprice qui lui traversait le cœur, tendit galamment la main à la pauvre Africaine, et la fit placer à table à sa droite, en m’engageant à m’asseoir près d’elle de l’autre côté. Pour conjurer l’orage que je voyais courir dans les yeux de Zéphira, je lui avais audacieusement offert mon bras.

— Je ne vous quitte plus, me dit-elle en enfonçant ses ongles dans ma main dégantée, et si vous regardez cette femme, je vous poignarde.

J’éclatai de rire et m’assis sur la chaise que me désignait le comte Luigi. Zéphira se plaça près de moi, et c’est ainsi que je soupai entre les deux danseuses. D’un côté la flamme souterraine d’un volcan, de l’autre le jet pétillant et criard d’un feu d’artifice. Zéphira remplissait mon verre sans désemparer, et me provoquait de son pied qu’elle enlaçait au mien sous la table. Négra m’enveloppait du rayon de ses yeux profonds, pleins de tristesse et d’amour, indifférente aux galanteries du signor Luigi.

Les orchestres du bal continuaient à jouer des symphonies ; les vins pétillaient dans les cristaux, les mets fumaient dans les plats d’argent, les fleurs vertigineuses et les fruits parfumés répandaient leurs arômes dans