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Je reçus vingt lettres écrites dans ce pathos élégant qui trahissait la plume exercée du romancier.

Enfin, sa dernière lettre déroulait la péripétie de son entraînement, de ce qu’elle appelait sa chute ; elle s’était donnée à Tiberio mais elle était à moi aussi, car, dans ses bras, elle me voyait encore. J’étais le mort adoré qui toujours vivait et s’agitait en elle et qu’elle voulait retrouver dans l’éternité. Je me souviens que ces paroles cherchées, ambitieuses et mystiques pour exprimer le fait simple, naturel mais brutal et terrible de l’infidélité, me firent horreur. C’était comme un poignard enjolivé de fleurs, comme une strangulation faite avec un lacet d’or et de soie. Je lacérai cette lettre avec désespoir et je n’y répondis que ces mots : « Je vous sais gré de votre franchise, mais vous pouvez vous dire que vous avez tué ma jeunesse. »

Mes nouveaux ouvrages avaient paru ; j’avais laissé faire à mon éditeur comme je laissais faire à l’imprévu pour tout ce qui me concernait. Le matin je me levai, sans désir, sans but, décidé à m’abandonner à toutes les sensations fugitives qui se présenteraient. Quand le cœur ne porte pas en lui sa ferme direction, amour, ambition, devoir ou religion ; il n’est plus qu’une chose flottante. Je passai les jours dans des flâneries bêtes ou dans des distractions folles et coûteuses. J’errais sur les boulevards avec des habits de dandy, je montais à cheval, je dînais dans les cafés les plus en renom, et chaque soir j’allais dans le monde.

Le succès de mes livres, joint au bruit qu’avait fait