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lier venu lui en remontrerait à la manière de Chérubin ! Je connais un autre pédant du genre de votre Léonce, qui s’est cloîtré pendant deux ans pour imiter un de mes poëmes, le plus vif d’allure et le moins didactique ; il y a de nos jours des procédés lents, certains, mathématiques, pour ces calques de la littérature romantique, comme il y en avait autrefois pour contrefaire la littérature classique ; c’est ainsi par exemple que Campistron singeait Racine. Un sculpteur de mes amis, qui fait plus de bons mots que de bonnes statues, a appelé plaisamment mon patient imitateur un pion romantique. Soyez certaine que le livre de votre amant, dont il est en mal d’enfant depuis quarante-huit mois, sera une lourde et flagrante compilation de Balzac !

— Se donne-t-on le génie ? m’écriai-je, n’est pas qui veut un esprit créateur ! mais c’est un effort de l’intelligence qui a sa grandeur que de poursuivre incessamment le beau et de s’en approcher. Vous ne pouvez nier qu’à défaut de génie cette volonté puissante ne soit en lui ? ce n’est pas sa faute s’il n’est pas plus grand !

— Eh ! qui songerait à l’humilier, répliqua Albert, s’il n’étalait pas lui-même un monstrueux orgueil. Dans les lettres que vous me faites lire, il plane toujours comme un condor, qui, dans sa lourdeur, s’imagine être supérieur à l’aigle ! Avec quelle superbe il juge tous les contemporains ! Il veut bien faire une exception en faveur de Chateaubriand, de Victor et de moi ;