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Enfin, je reçus un soir une lettre de Léonce, qui m’annonçait son arrivée pour le lendemain. J’envoyai mon fils chez un de ses oncles qui demeurait à la campagne près de Paris. L’enfant partit joyeux. Toute distraction nouvelle le charmait. Je savais qu’il n’aimait pas Léonce, et j’eus souffert de troubler son cœur naïf et d’y voir poindre une idée de lutte.

Le lendemain arriva ; dès le matin j’ornai de fleurs mon pauvre logis, je me parai des couleurs que Léonce aimait, et je mis tout en fête comme chaque fois qu’il devait venir.

Je l’attendais à l’heure du dîner. J’éprouvais une telle agitation que je ne pouvais rien faire ; les heures me paraissaient tantôt trop lentes et tantôt trop accélérées. Je prenais un livre, et j’essayais de lire sans y parvenir. Je relus seulement mes vers, où respirait comme un sentiment avant-coureur du bonheur ; puis je les rejetai sur la table où je me tenais accoudée. Je regardais la pendule ; je me disais : « Bientôt il sera là ! » et malgré moi l’image d’Albert se mêlait à la sienne. « Il s’assiéra, pensais-je, sur ce fauteuil où Albert s’est assis, sur ce coussin où il a pleuré, où il m’a dit son amour. » Et cela me paraissait sacrilège et impie. Je pâlissais et frissonnais au moindre bruit ; il me semblait que j’allais être surprise, condamnée par quelqu’un qui avait des droits sur ma vie. Il me venait l’idée de m’enfuir, comme si un redoutable péril ou une grande douleur m’eût menacée. Puis je souriais de cette terreur puérile ; je songeais au bonheur qui allait renaître, je