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xxvii


Plus de deux ans avaient passé sur ce jour, dont le souvenir m’était resté ineffaçable. Ce que je souffris pendant ce temps je ne le dirai jamais. Je veux jeter sur ces deux années un voile noir comme celui qui couvrait, à Venise, dans les familles patriciennes, les portraits des condamnés à mort.

De cet amour qui avait pris toute mon âme comme par surprise et par sortilège, de cet amour auquel j’avais sacrifié Albert, il ne restait rien. On eût dit que, frappé par le présage fatidique d’Albert, cet amour s’était décomposé jour par jour.

J’avais vu l’orgueilleux et superbe solitaire renier une à une toutes ses doctrines sur l’art et sur l’amour, et faire de ses opinions une monnaie aux convoitises les moins fières.

Quand la conscience ne dirige plus nos actes, que l’intérêt et la vanité deviennent les seuls mobiles de l’esprit, toute notion d’honneur et d’idéal disparaît. Il n’y a plus alors dans la vie d’autre retenue que la prudence qui sauvegarde du châtiment de la loi. De là les traîtres ignorés, les voluptueux cruels qui cachent des instincts d’assassin sous un sourire, et les faiseurs