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presque toutes les femmes des pays chauds, approché une goutte de vin de mes lèvres. J’avais mis mon fils au même régime, et, depuis ma ruine, je n’avais plus de cave.

Je dis tout cela à Albert, ajoutant que ma servante seule buvait du vin dans la maison.

— Eh bien ! reprit-il gaiement, j’accepte ce vin de cuisine, et, croyez-moi, marquise, faites-en boire aussi à votre fils si vous ne voulez pas qu’il devienne lymphatique et mièvre.

Je sonnai Marguerite, qui apporta aussitôt une grosse bouteille noire et un verre. Albert la vida à moitié et, à mesure qu’il buvait, son teint se colorait et ses yeux se remplissaient d’une vie nouvelle.

— Ah ! me dit-il en touchant la bouteille, ceci et ces bons rayons de soleil qui s’allongent jusqu’à moi par votre fenêtre, me rendent vigueur et joie. Maintenant, marquise, je pourrai marcher, causer et même écrire longtemps.

— Le vin vous fait donc du bien, repris-je toujours étonnée.

— On m’a calomnié sur l’abus prétendu que j’en fais, répliqua-t-il ; mais si jamais, marquise, vous étiez mourante ou désespérée, vous verriez quelle force y trouve le corps ; quels enchantements et quel oubli l’esprit peut y puiser.

— Horreur ! lui dis-je en riant, jamais je ne souillerai mes lèvres à cette liqueur aux parfums âcres. Parlez-moi de l’arome du citron et de l’orange ! Je me