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— Je l’ai rencontré, répliquai-je, dans le salon du peintre Gérard, de cet homme à l’esprit incisif dont la causerie valait mieux que les tableaux ; M. de Humboldt me prit un soir en amitié et écrivit pour moi sur une large page de vélin, un passage inédit de son Cosmos, auquel il ajouta une aimable dédicace ; c’est aussi chez Gérard, poursuivis-je, que j’ai connu Balzac. L’aimez-vous et qu’en pensez-vous ?

— Oh ! celui-là, reprit-il, était d’une grande force ; son génie était bien caractérisé par sa puissante et lourde encolure de taureau ; ses créations sont parfois abondantes et plantureuses à s’étouffer elles-mêmes. On voudrait les dégager en les élaguant çà et là, mais peut-être les gâterait-on, comme si on essayait de tailler symétriquement ces arbres entremêlés qui nous prêtent leur ombre. Le beau, radieux et toujours noble, suivant l’acception antique, ne convient guère, je crois, qu’à la poésie ; la prose a des allures plus émancipées et plus familières ; elle se mêle à tout et se permet tout ; c’est là l’échec du goût qui est le raffinement suprême du génie : Le goût de Balzac ne me semble pas toujours très-pur ; pas plus que ses caractères, et surtout ceux de ses femmes du grand monde ne me paraissent toujours vrais. Il outre la nature et il la boursoufle quelquefois. L’océan profond a des écumes visqueuses ; les métaux en fusion produisent des scories.

Tandis que nous causions de la sorte l’homme qu’Albert avait envoyé, je ne sais où, revint dans la serre tenant un plateau d’argent sur lequel étaient des glaces,