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et, puisque vous le voulez absolument, vous allez battre des blancs d’œufs.

— C’est cela, me voilà prêt.

Il s’était emparé d’une serviette et l’avait liée gaiement sur les basques de son habit noir.

— Que je vous donne du moins un vase élégant et digne de vous, ô poëte. Je lui tendis une écuelle en vrai Sèvres, qui avait appartenu à ma mère, et une fourchette en ivoire, et le voilà fouettant auprès de la fenêtre les blancs d’œufs qui, bientôt, montèrent en neige sous les coups de sa main nerveuse. Il fallut aussi occuper l’enfant : je pris sur une étagère quelques belles poires et les lui donnai à peler ; en un instant mon plat sucré fut dressé, et, quand Marguerite arriva, elle n’avait plus qu’à le mettre sur le feu.

Albert et mon fils m’aidèrent ensuite à disposer le couvert.

— Tout ceci me rappelle ma vie d’étudiant, dit Albert ; depuis longtemps je ne m’étais senti si heureux, et moi, qui ne mange plus, il me semble avoir ce soir une faim dévorante.

Cependant quand nous nous mîmes à table, il mangea à peine un peu de blanc de poulet, et goûta, par courtoisie, du bout des lèvres, à mes poires meringuées ; à ma grande surprise il ne but que de l’eau rougie. Me voyant en peine de sa santé, il redoubla de gaieté et d’esprit pour me convaincre qu’il se portait à merveille. Après le dîner, il se mit à jouer avec mon fils comme un écolier. Cependant l’enfant, fatigué de sa