Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/130

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bien certainement, de ce que je fais pour mistress Fairlie…

Cette reconnaissance de vieille date pour les bontés dont jadis elle avait été l’objet, était évidemment encore le principal mobile de cette intelligence étroite, où nulle impression durable n’avait effacé les souvenirs de sa première enfance, des jours les plus heureux qu’elle eût jamais connus. Je vis bien que le meilleur moyen de gagner sa confiance était de l’engager à continuer, sans se gêner pour moi, la simple et facile besogne qu’elle était venue parachever dans le cimetière. Elle la reprit aussitôt que je l’y eus invitée, passant sur le marbre dur des mains aussi caressantes que s’il eût été doué d’une sensibilité quelconque, et se répétant à voix basse les phrases de l’épitaphe, sur lesquelles elle revenait sans cesse, comme si, enfant de nouveau, elle apprenait patiemment sa leçon sur les genoux de mistress Fairlie.

— Est-ce que je vous étonnerais beaucoup, lui dis-je, frayant de mon mieux la voie aux questions que j’avais à lui faire, si je vous avouais que c’est un plaisir pour moi, aussi bien qu’une surprise, de vous retrouver ici ? Après vous avoir laissée partir dans le cabriolet, j’ai eu pour vous bien des inquiétudes…

Elle leva les yeux avec une vivacité soupçonneuse.

— Des inquiétudes ? répétait-elle. Pourquoi ?

— Après que nous nous fûmes séparés, cette nuit-là, il arriva une étrange chose. Deux hommes, en chaise de poste, me rejoignirent ; ils ne me voyaient pas ; mais ils s’arrêtèrent près de l’endroit où j’étais debout, et parlèrent à un policeman qui marchait de l’autre côté de la route…

À l’instant même elle suspendit son travail. Sa main qui tenait l’humide chiffon avec lequel, le moment d’avant, elle nettoyait l’épitaphe, retomba le long de son corps. De l’autre, elle saisit la croix de marbre placée à la tête du tombeau ; lentement, elle tourna la tête de mon côté ; sur son visage hagard, l’étreinte rigide de la peur était encore une fois visible. À tous risques, je continuai. Il était trop tard maintenant pour battre en retraite.