Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/160

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pièce était changé. Les portes vitrées donnant sur la terrasse étaient closes maintenant et masquées d’épaisses portières. Au lieu de cette douce pénombre du crépuscule, dans laquelle, d’ordinaire, nous restions assis en causant, le brillant éclat des lampes éblouissait aujourd’hui mon regard. Tout était changé ; — au-dedans comme au-dehors, tout était changé.

Miss Halcombe et M. Gilmore étaient assis à la table de jeu ; mistress Vesey s’était retirée au fond de son fauteuil accoutumé. Dans l’emploi de « leur » soirée ; aucune gêne, aucune contrainte ; et la remarque même que j’en fis me rendait plus pénible l’emploi de la mienne. Je vis miss Fairlie arrêtée près du coffre à musique. Le temps avait été où je serais allé l’y joindre. J’attendais, irrésolu, ne sachant ni où aller ni que faire. Elle jeta de mon côté un prompt regard, prit tout à coup dans les rayons un morceau de musique, et, d’elle-même, vint à moi.

— Vous jouerai-je une de ces petites mélodies de Mozart que vous aimez tant ? me demanda-t-elle en ouvrant la musique avec une précipitation nerveuse, et parlant les yeux baissés.

Avant que j’eusse pu la remercier, elle alla d’un pas rapide s’asseoir au piano. Près de l’instrument, le fauteuil où j’avais l’habitude de m’établir restait vide. Elle frappa quelques accords, — puis, se retournant, jeta un regard vers moi, — puis ramena ses regards vers sa musique.

— Ne voulez-vous plus de votre ancienne place ? dit-elle, parlant avec un brusque effort et très-bas.

— Pour ce dernier soir, je puis donc la prendre ? répondis-je.

Elle ne répliqua point ; elle semblait vouloir donner toute son attention à la musique, — une musique qu’elle savait par cœur, et que cent fois, naguère, elle m’avait joué sans ouvrir le livre. Je ne pus me douter qu’elle m’avait entendu, je ne pus me douter qu’elle s’apercevait de ma présence auprès d’elle, qu’en voyant s’effacer les couleurs de la joue exposée à mes regards, et une pâleur livide s’épandre peu à peu sur tout ce beau visage.

— Votre départ me fait beaucoup de peine, dit-elle d’une