Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/206

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me levai d’une humeur de dogue, pour me trouver seul le lendemain, au déjeuner.

À dix heures, on me conduisit dans l’appartement de M. Fairlie. Il occupait sa chambre habituelle, son fauteuil habituel, et l’accablement habituel de son intelligence et de son corps était exactement ce que je l’avais toujours connu. Lorsque j’entrai, son valet de chambre était debout devant lui, soutenant, pupitre animé, un énorme volume d’eaux fortes, aussi long et aussi large que mon bureau d’avocat. Le misérable étranger grimaçait de la manière la plus abjecte, et semblait prêt à s’évanouir de fatigue, tandis que son maître examinait tout à loisir chacune des gravures et, s’aidant d’une loupe, en étudiait les beautés cachées.

— Oh ! le meilleur des bons vieux amis, dit M. Fairlie, qui s’installa commodément et paresseusement avant de lever les yeux sur moi, êtes-vous bien portant ?… là, tout à fait bien portant ?… Savez-vous qu’il est méritoire de venir ainsi me chercher dans ma solitude. Ce cher Gilmore !…

J’avais compté que le domestique disparaîtrait quand je serais là, mais il n’en fut rien. Le pauvre diable restait debout, tremblant sous le poids des eaux fortes, en face du fauteuil de son maître, où celui-ci s’était presque recouché, faisant tourner avec sérénité le verre de la loupe entre ses doigts blancs et son pouce.

— Je suis venu vous parler d’un sujet fort important, lui dis-je sans autre exorde, et vous m’excuserez si je vous propose de le traiter seul à seul…

Le malheureux valet de chambre me jeta un regard reconnaissant. M. Fairlie, d’une voix faible, répéta mes trois derniers mots : « seul à seul », avec tous les dehors du plus excessif étonnement.

Je n’étais pas d’humeur à plaisanter, et me décidai à le lui faire comprendre.

— Veuillez permettre à cet homme de se retirer, lui dis-je en lui montrant le valet de chambre.

Les sourcils arqués de M. Fairlie, et ses lèvres projetées en avant, indiquèrent une surprise ironique.