Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/291

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fleurs à la passion. Elle n’en vient jamais à désirer quelque bouquet, sans qu’il en ait un tout prêt à lui être offert, qu’il a cueilli et disposé de ses mains ; et, ce qui m’amuse fort, il en a toujours un autre, adroitement mis en provision, composé des mêmes fleurs groupées dans le même ordre, pour apaiser la froide jalousie de sa femme, avant même qu’elle ait en le temps de se supposer offensée. Son manége avec la comtesse (en public, du moins), est un spectacle à voir. Il a pour elle des révérences obséquieuses ; il l’appelle habituellement « mon ange » ; il lui fait faire de petites visites par les canaris perchés sur ses doigts, et leur demande pour elle leurs plus belles chansons ; quand elle lui offre des cigarettes, il lui baise la main, et, en retour, il lui présente des dragées tirées d’une boîte qu’il a dans sa poche, et, parfois, comme en se jouant, il les place lui-même entre les lèvres de son épouse adorée. La verge de fer avec laquelle il la gouverne ne se montre jamais devant le monde ; c’est une verge de ménage, qu’il garde toujours dans les pièces du haut.

Pour se recommander à « moi », il use de tout autres procédés. C’est à ma vanité qu’il s’adresse, en me parlant le langage sérieux et sensé dont il se servirait avec un homme… — Eh bien ! oui ! je le démêle, quand il n’est pas là ; je perce à jour ses flatteries, lorsque je pense à lui, toute seule, ici, dans ma chambrette ; — puis, lorsque je redescends et me trouve en face de lui, le bandeau retombe sur mes yeux, et je me laisse reprendre au miel de ses douces paroles, tout justement comme si je n’avais point su m’apercevoir de son manége ! Il vient à bout de moi comme de sa femme et de Laura, comme du limier dans la cour des écuries, et comme, à chaque instant du jour de sir Percival lui-même : « Mon brave Percival ! que j’aime votre rude gaieté anglaise ! — Mon bon Percival ! que j’apprécie la solidité de votre bon sens anglais ! » C’est ainsi qu’il écarte tranquillement les plus âpres railleries de sir Percival au sujet de ses goûts et de ses passe-temps efféminés, — ne manquant jamais d’appeler le baronnet par son nom de baptême ; lui souriant avec tout le calme de la supériorité ; l’honorant de petits coups sur