Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/360

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Je le revis. Il était encore dans la forêt, et ses compagnons de périls étaient réduits à un fort petit nombre. Le temple, les idoles, avaient disparu. À leur place, parmi les arbres, on voyait tapis, comme pour un meurtre, je ne sais quels nains à peau brune, l’arc en main, la flèche sur la corde. Une fois encore je craignis pour Walter, et criai, le mettant sur ses gardes. Une fois encore, il tourna vers moi sa figure empreinte d’un immuable calme : — C’est, disait-il, un pas de plus sur la route sombre. Attendez et voyez ! Les flèches qui frappent les autres passeront à côté de « moi. »

Pour la troisième fois, je le vis sur un vaisseau naufragé dont la quille était prise dans les sables d’un récif désert. Les chaloupes chargées de monde s’éloignaient de lui, ramant vers la côte ; lui seul restait à bord, destiné à périr avec le vaisseau submergé. Je lui criai de héler la barque la moins éloignée, et de faire un dernier effort pour sauver sa vie. Le calme visage me jeta un regard, et la voix, que nulle émotion ne troublait, me renvoya cette réponse, toujours la même : — Encore un pas en avant. Attendez et voyez ! La mer, qui va noyer les autres, m’épargnera, « moi. »

Je le vis pour la dernière fois. Il était agenouillé près d’un tombeau de marbre blanc, et l’ombre d’une femme voilée, s’élevant de dessous la pierre funèbre, était venue se placer près de lui. Le calme surhumain de son visage s’était changé en une douleur surhumaine. Mais l’assurance effrayante de ses paroles restait la même : — De plus en plus sombre, disait-il ; en avant, toujours en avant ! La mort enlève les braves, les belles, les jeunes, — et la mort m’épargne. La peste qui corrompt, la flèche qui frappe, la mer qui noie, la tombe qui se referme sur l’amour et l’espérance sont autant de pas de plus, et me rapprochent du but.

Mon cœur s’affaissait sous une crainte inexprimable, sous une douleur qu’aucunes larmes n’auraient pu soulager. L’obscurité enveloppa le pèlerin agenouillé près du tombeau de marbre ; elle enveloppa la femme voilée que la terre avait laissée sortir ; elle enveloppa l’être livré