Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/457

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traitons ; — sans quoi, je ne lui donnerais pas place dans mon récit.

Rien, à mon sens, ne met sous un jour plus vif et plus repoussant l’égoïsme odieux de la race humaine, que le traitement infligé, à tous les degrés de l’échelle sociale, par la classe des gens mariés à celle des célibataires. Quand une fois vous vous êtes montré assez réfléchi, assez sévère envers vous-même, pour refuser d’ajouter une famille de plus à une population déjà surabondante, vous êtes immédiatement signalé, par la vindicte de vos amis mariés, qui n’ont eu ni le même bon sens ni la même abnégation, comme le récipient naturel de presque tous leurs chagrins conjugaux, et l’ami officiel de tous leurs enfants. Les maris et leurs femmes « parlent » des soucis de l’hyménée ; mais ce sont les garçons, ce sont les filles qui en « supportent » le fardeau. Jugez-en d’après ce qui m’arrive. Je reste garçon, prudemment ; et mon pauvre bon frère, Philip, imprudemment se marie. Venant à mourir, que fait-il ? Il « me » lègue sa fille. C’est une douce enfant, j’en conviens. C’est, en même temps, une terrible responsabilité. Pourquoi me la mettre sur le dos ? Parce que, dans mon rôle inoffensif de célibataire, je suis tenu, paraît-il, de soulager de toutes leurs inquiétudes ceux de mes parents qui ont contracté mariage. De cette responsabilité que m’inflige mon frère, je me tire le mieux possible. Avec des embarras, des difficultés inouïes, je finis par marier ma nièce à l’homme que son père lui avait destiné. Ces deux époux ne s’entendent pas complètement, et cette mésintelligence a des conséquences fâcheuses. Que fait ma nièce de ces conséquences ? Elle les transfère sur ma tête. Pourquoi sur « ma » tête ? Parce que, dans mon rôle inoffensif de célibataire, je suis tenu à débarrasser mes parents mariés de toutes les inquiétudes qui leur incombent. Malheureux célibataires ! misérable nature humaine !

Parfaitement inutile de dire que la lettre de Marian renfermait des menaces à mon adresse. Tout le monde se croit en droit de me menacer. Point d’horreurs qui ne dussent tomber sur ma tête, promise aux dieux infer-