Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il était impossible de comprendre comment cet obstacle, si opportun, si commode, avait pu échapper à l’officieuse pénétration du comte ; — mais, au fait, il n’y avait pas songé. Ma crainte que la pensée ne lui en vînt, si je lui laissais le temps d’y réfléchir, me stimula de telle façon que, par extraordinaire, je parvins à me remettre sur mon séant. Je saisis, — saisir est le mot, — la plume et le papier que j’avais à ma portée, et la rédaction de la lettre coula de source, comme si j’eusse été le premier expéditionnaire venu :

« Très-chère Laura, veuillez arriver dès que la fantaisie vous en prendra. Coupez le voyage en deux, en couchant à Londres, chez votre tante. Désolé d’apprendre la maladie de notre chère Marian. Votre bien affectionné pour jamais. » À longueur de bras, je remis cette lettre au comte, — je me laissai tomber dans mon fauteuil, — et j’ajoutai : — Veuillez m’excuser ; je suis dans un état de prostration complète ; il m’est impossible de faire maintenant quoi que ce soit. Voulez-vous vous aller reposer, et prendre quelque chose en bas ? Tendresses à tous, sympathies, tout ce que vous voudrez. Bonjour…

Il fit encore un discours, — homme véritablement inépuisable. Je fermai les yeux ; je tâchai de l’écouter le moins possible. Encore me força-t-il d’en entendre une bonne partie. L’interminable époux de ma sœur me félicitait du résultat de notre entrevue ; il parla longtemps encore de ses sympathies et des miennes ; il s’apitoya sur ma misérable santé ; il m’offrit une ordonnance écrite ; il insista sur la nécessité de n’oublier point ce qu’il m’avait dit à propos de l’influence des rayons lumineux ; il accepta mon obligeante invitation ; il me dit que je verrais arriver lady Glyde sous deux ou trois jours ; il sollicita de moi la permission de ne songer qu’à notre réunion future, au lieu de s’affliger et de m’affliger en me faisant ses adieux ; il ajouta beaucoup de choses encore que (j’ai quelque plaisir à le dire) je sus alors me dispenser d’écouter, et dont je n’ai gardé naturellement aucun souvenir. J’entendais sa voix sympathique faiblir en s’éloignant de moi par degrés ; mais, si gros qu’il fût, je ne l’entendais