Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/764

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VI


Je restai convaincu, dès que je me trouvai hors de la maison, qu’une seule alternative m’était laissée ; c’était d’agir immédiatement, d’après les renseignements qui venaient de m’être donnés ; — de m’assurer du comte, dès ce soir ; — ou de risquer, si je retardais seulement jusqu’au matin, la perte de la dernière chance qui restât encore à Laura. Je regardai à ma montre ; il était dix heures.

Je ne pouvais douter le moins du monde des projets qu’avait le comte au sortir du théâtre. En se dérobant à nous, il préludait évidemment à son évasion de Londres. Il portait à son bras la marque de la Fraternité ; j’en étais aussi certain que s’il m’en avait montré la sanglante empreinte, et il avait sur la conscience d’avoir trahi la Fraternité, — je m’en étais assuré au moment où il reconnaissait Pesca.

Il était facile de comprendre pourquoi Pesca ne l’avait pas reconnu. Un homme doué comme le comte ne devait pas encourir la terrible rétribution de l’espionnage, sans veiller sur sa sécurité personnelle avec autant de soin qu’il en pouvait mettre à s’assurer les odieux bénéfices de sa profession. Ce visage complément rasé que j’avais signalé à l’Opéra, pouvait fort bien être apparu à Pesca, jadis, couvert d’une barbe épaisse ; les cheveux, d’un brun foncé, n’étaient peut-être qu’une perruque ; quant au nom du comte, c’était évidemment un pseudonyme. Le temps, d’ailleurs, s’était sans doute fait son complice ; son énorme embonpoint avait dû se développer avec l’âge. Il existait toute espèce de raisons pour que Pesca ne l’eût pas reconnu ; — toute espèce de raisons, également, pour qu’il eût reconnu Pesca, dont les singuliers dehors faisaient, en toutes circonstances, un homme assez remarquable.