Page:Collins - Le Secret.djvu/167

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« Soit !… bien ! dit le vieillard qui comprit ces signes de honte… Nous ne reparlerons jamais de tout ceci.

— Je n’avais pas l’excuse de la pauvreté !… je n’avais pas l’excuse de l’amour, reprit-elle avec un élan soudain d’amertume et de désespoir… Je l’ai épousé, oncle Joseph, parce que je n’ai pas eu la force de dire : Non ! Sur chaque jour de ma vie aura pesé cette malédiction de la faiblesse et de la peur… Je lui ai dit non une fois ; je lui ai dit non deux fois… Oh ! mon oncle, que n’ai-je su, la troisième fois, lui dire encore non !… Mais il m’obsédait… mais il m’effrayait… Il m’ôtait peu à peu la faible dose de volonté que j’avais en moi… Il me faisait parler comme il le voulait, aller où il le voulait… Non, non, non, mon oncle, ne venez pas à moi !… Ne me dites rien… Il n’est plus là… Il est mort… je suis délivrée… j’ai pardonné. Oh ! si seulement je pouvais m’aller cacher quelque part !… Chaque regard semble me percer à jour… chaque parole, renfermer une menace à mon adresse… Jeune encore, mon cœur était comme harassé, et depuis longues, longues années, il ne connaît plus le repos… Chut !… cet ouvrier dans la boutique… je l’avais oublié… il va nous entendre. Parlons plus bas ! Pourquoi donc ai-je tant parlé ?… J’ai eu tort. J’ai toujours tort. Tort quand je parle ; tort quand je ne dis rien. Où que j’aille, quoi que je fasse, je ne suis jamais comme tout le monde… On dirait que mon esprit n’a pas grandi, depuis ma toute première enfance. Écoutez !… l’homme de la boutique vient de remuer. M’aurait-il entendue ?… Oncle Joseph, pensez-vous qu’il ait pu m’entendre ? »

À peu près aussi effaré que sa nièce, l’oncle Joseph l’assura cependant que la porte était épaisse, que l’ouvrier était placé à quelque distance de cette porte, et qu’il lui était impossible, entendît-il même des voix dans le salon, de distinguer aucune des paroles prononcées.

« Vous en êtes bien sûr ? murmura-t-elle très-vite… Oh, oui ! vous en êtes sûr… sans cela vous ne me l’auriez pas dit, n’est-ce pas ?… Donc, nous pouvons continuer… Mais ne parlons plus de ma vie de femme mariée… Fini, oublié, ce temps-là !… Disons que j’ai eu, les ayant méritées, quelques années de chagrin et de souffrance… Disons que j’ai eu ensuite des années de repos, pendant que j’étais au service de maîtres excellents, bien que mes camarades ne fussent pas, à beaucoup près, aussi bons. Disons ceci de l’existence que j’ai menée, et