Page:Collins - Le Secret.djvu/170

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« Sarah, dit-il, pourquoi me parler ainsi ?… Pourquoi me poser une pareille question ?

— Y a-t-il des heures solitaires, continua-t-elle sans que son regard changeât de direction, et sans qu’elle parût avoir entendu sa question, où quelquefois vous avez peur sans savoir pourquoi ?… une peur qui, dans un instant, vous envahit de la tête aux pieds ?… Dites, mon oncle, avez-vous jamais senti le froid se glisser tout autour de la racine de vos cheveux, et de là, peu à peu, descendre comme un reptile glacé le long de votre dos ?… J’ai senti cela, moi, et même au cœur de l’été. Je suis sortie, je m’en suis allée seule sur la vaste bruyère, en pleine chaleur, en plein éclat de midi, et il m’a semblé que des doigts glacés passaient sur moi… des doigts glacés, moites, visqueux… Or, il est dit dans le Nouveau Testament que les morts, autrefois, sortirent de leurs tombeaux et allèrent errer dans la cité sainte… Les morts !… Depuis lors, se sont-ils toujours, toujours tenus cois au fond de leurs noirs abris ? »

La nature simple et bonne de l’oncle Joseph se refusait, ébahie, à ces sombres et hardies spéculations que les questions de sa nièce semblaient provoquer. Sans répondre un seul mot, il essaya de dégager le bras qu’elle tenait encore ; mais le seul résultat de l’effort qu’il fit ainsi, fut qu’elle l’étreignit plus fortement que jamais, et qu’elle se pencha en avant, sans quitter son fauteuil, afin de voir de plus près ce qui pouvait être caché dans le recoin ténébreux.

« Ma maîtresse se mourait, dit-elle, ma maîtresse avait un pied dans la tombe quand elle me fit prêter, sur la Bible, ce redoutable serment. Elle me fit jurer de ne pas détruire la lettre ; je ne l’ai pas détruite. Elle me fit jurer de ne pas l’emporter avec moi si je quittais la maison ; je ne l’ai pas emportée. À la troisième fois, elle m’aurait fait jurer de la donner à mon maître ; mais la mort la gagna de vitesse. La mort l’empêcha de jeter sur ma conscience le lien de ce troisième serment… Pourtant, elle me menaçait, mon oncle, elle me menaçait, le front baigné des sueurs de l’agonie, elle me menaçait de revenir me trouver si j’éludais ses volontés… et il est certain que je les ai éludées… »

Ici elle s’arrêta, retira sa main posée sur le bras du vieillard, et, du côté de la chambre où ses yeux semblaient retenus par une irrésistible attraction, fit un geste étrange :

« Repose, repose, repose !… murmurait-elle, retenant son