Page:Collins - Le Secret.djvu/244

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pencha en avant, ses lèvres tremblant un peu, ses mains se jouant au hasard autour de l’enveloppe vide qui maintenant reposait sur ses genoux. Et enfin, d’une voix basse, inégale :

« Voulez-vous entendre un petit chant d’adieu de Mozart ? lui dit-il… Il se passera bien du temps, ma pauvre Sarah, d’ici à ce qu’il puisse vous jouer quelque chose : un petit chant d’adieu, ma chérie, avant que vous partiez… »

Sa main se glissa, furtivement, de l’enveloppe de cuir sur la table, et la boîte se remit à jouer le même air que Sarah, le jour de son arrivée du Somersetshire, avait entendu déjà ; le même que l’oncle Joseph écoutait, au moment où elle était entrée dans son petit salon. Mais que de douloureux échos réveillaient maintenant ces simples notes ! quelles tristes ressouvenances du passé cette petite mélodie plaintive appelait et agglomérait dans le cœur de la pauvre femme !… Sarah ne put trouver le courage de lever les yeux sur le vieillard… Ils lui auraient révélé qu’elle pensait aux jours où cette boîte, le trésor du brave homme, jouait le même air qu’ils écoutaient maintenant, au chevet de l’enfant agonisant qu’il était sur le point de perdre.

Le ressort d’arrêt n’étant pas poussé, la mélodie, une fois achevée, recommença immédiatement ; mais cette fois, après les premières mesures, les notes se succédèrent l’une à l’autre plus lentement ; l’air devint de moins en moins reconnaissable ; il n’y eut bientôt plus que trois notes en jeu, séparées par de longues pauses ; et enfin ces notes même se turent. La petite chaîne qui mettait en mouvement tout le mécanisme s’était déroulée d’un bout à l’autre ; le chant d’adieu de Mozart s’arrêta soudain comme une voix qui se brise.

Le vieillard tressaillit, regarda sa nièce d’un air sérieux, et jeta l’enveloppe sur la boîte, comme s’il voulait dérober celle-ci à sa vue. « La musique cessa ainsi, se murmurait-il à lui-même, et dans sa langue natale, lorsque mourut le petit Joseph… Ne vous en allez pas ! ajouta-t-il brusquement en anglais avant que Sarah eût eu, pour ainsi dire, le temps de s’étonner du singulier changement survenu dans sa voix et dans son attitude… Ne vous en allez pas !… Réfléchissez bien !… restez avec moi.

— Je ne suis pas libre, mon oncle, de ne vous point quitter… Vrai comme j’existe, je ne le suis pas… Vous ne m’accusez pas d’ingratitude, j’espère ?… À ce moment suprême, dites-moi, pour me consoler, qu’il en est ainsi. »