Page:Collins - Le Secret.djvu/306

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vait à sa portée, et qui touchait au bras de son fauteuil… Puis, fronçant le sourcil et menaçant sa femme du doigt ; « Oh ! fi, Rosamond ! lui dit-il avec un accent de reproche, dont l’exagération même accusait l’intention de plaisanter… est-il bien digne de vous de me tendre un piége, et de me forcer ainsi à vous faire des compliments ? »

Le ton léger qu’il persistait à garder semblait effrayer Rosamond. Elle se recula de lui, et s’assit à quelque distance.

« Je me souviens que je vous ai offensé… continua-t-elle vivement, et dans une extrême agitation… offensé, c’est trop dire… ennuyé, contrarié… par la façon familière dont je traite les domestiques… Si vous ne m’aviez pas si bien connue, peut-être vous seriez-vous imaginé, tout d’abord, que c’étaient là des habitudes prises de bonne heure, comme si j’eusse été élevée parmi eux… domestique moi-même… Eh bien, supposons que j’eusse été, en effet, à votre service… une domestique appelée à vous soigner dans toutes vos maladies… puis, une demoiselle de compagnie, devenue votre guide, et votre guide préféré, affectueux, zélé, depuis que vous êtes privé de la vue… Est-ce que, dans de pareilles circonstances, la différence de nos sangs vous eût très-péniblement affecté ?… Auriez-vous… »

Elle s’arrêta. Léonard ne souriait déjà plus, et il s’était légèrement détourné d’elle : « À quoi bon, Rosamond, supposer l’impossible ? » demandait-il, quelque peu impatient.

Elle se rapprocha de la table placée dans le coin du salon, se versa un verre d’eau, de cette eau qu’elle était allée chercher dans la bibliothèque, et le but avidement. Puis elle alla vers la fenêtre, et cueillit quelques-unes des fleurs placées sur le rebord. Elle en jeta une partie le moment d’après, mais garda le reste dans sa main, et se mit à l’arranger en bouquet, assortissant les couleurs avec un soin tout particulier, tandis qu’elle s’abandonnait à ses pensées. Ceci fait, elle les plaça devant son corsage, les regarda un instant, sans paraître porter à cet examen aucune attention, les retira de l’endroit où elle les avait fixées, et, revenue près de son mari, passa le petit bouquet dans la boutonnière de son habit.

« Voilà de quoi vous donner l’aspect riant et heureux que j’aime à vous voir toujours, » lui disait-elle, tout en s’asseyant à ses pieds, dans son attitude favorite.

Et, tandis qu’elle restait là, les deux bras appuyés sur les genoux de son mari, elle le contemplait tristement.