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LA VIE ET LES ŒUVRES

Jamais tu ne verras un champ dont tu sois maître
Se couvrir à ton gré de rameaux ou d’épis
Et jamais, en des bois plantés par un ancêtre,
Tes bras ne berceront des enfants assoupis.
Sans même que l’oiseau pour son nid les recueille,
Tu verras, sous le pas de l’homme indifférent,
Tes stériles chansons s’envoler feuille à feuille
Et jusqu’aux mers d’oubli couler dans le torrent.
Le monde tient pour vils les objets de ton culte ;
Il cherche d’autres biens qu’un son mélodieux ;
Tu n’auras rien de lui qu’ironie et qu’insulte
Toi, ne le maudis point 1 sois fidèle à nos dieux.
Passe au milieu de lui sans haine et sans murmure :
La sagesse est amour ; mais garde la fierté :
Que ton front de l’orgueil porte la noble armure
Et, pour trésor, au moins choisis la liberté.
Marche inflexible au but : je t’ai tracé la route.
Mon esprit vit en toi ; suis ce guide sacré ;
Songe, en te relevant dans tes heures de doute.
Que, de près ou de loin, pour toi je combattrai ! »

On se demande, en entendant l’écho de cette grande voix, ce qui est le plus honorable d’avoir pu inspirer ces beaux vers ou de les avoir écrits

Cela se passait en 1843. A quelques années de là, deux nouveaux vides se produisaient encore dans les rangs des amis de V. de Laprade : c’étaient, d’abord L. Pernet, qui mourait à Nice en 1846, puis, au mois de juin 1847, Ballanche, le doux philosophe, qui s’éteignait à Paris.

Ancien camarade de collège de Victor de Laprade, Louis Pernet avait aidé considérablement par sa fortune à la fondation de la Revue indépendante. Cœur d’or, mais tête un peu légère et aventureuse, il avait abandonné les idées chrétiennes et royalistes de sa famille pour embrasser les doctrines socialistes et