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opinion

de lui interdire encore. Nier ce principe, ce serait briser tous les liens sociaux qui peuvent unir les hommes. Ce terme n’est pas sans doute arbitraire ; c’est celui pendant lequel le citoyen qui abdique peut employer contre sa patrie les moyens qu’il a reçus d’elle, où il peut lui faire plus de mal qu’un étranger.

Dans l’ordre ordinaire et commun, tout citoyen émigrant doit être supposé n’avoir que quitté son pays ; et pour le regarder comme ayant voulu l’abandonner, on doit attendre qu’il en ait manifesté la volonté : on doit attendre de même que le citoyen qui renonce à sa patrie s’en soit montré l’ennemi, pour cesser de le compter parmi ceux dont l’abdication est innocente.

Mais cette marche, qui est celle de la justice générale, doit-elle être également suivie dans le moment où une notoriété publique à laquelle aucun esprit raisonnable ne peut se refuser, annonce qu’il existe un grand nombre d’émigrants dont les intentions hostiles ne peuvent être douteuses, où il est bien reconnu qu’ils forment un corps armé, une espèce de nation sans territoire ?

Dans cette multitude de Français, les uns ne sortent de leur pays que pour des motifs légitimes ; les autres le quittent parce que sa nouvelle constitution blesse leurs opinions, et surtout leur vanité.

Citoyens égarés, mais paisibles, ils sont plus malheureux que coupables ; car c’est un malheur que d’avoir placé ses jouissances dans de vains préjugés que le jour de la raison a dissipés.