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ÉLOGE DE M. D’ALEMBERT.

Son amitié était active et même inquiète ; les affaires de ses amis l’occupaient, l’agitaient, et souvent troublaient son repos encore plus que le leur : il était étonné de l’indifférence, de la tranquillité qu’ils montraient, leur en faisait des reproches ; et quelquefois son intérêt était si vif, qu’il les forçait de désirer le succès pour lui plus encore que pour eux-mêmes.

Peu d’hommes ont été aussi bienfaisants, et il regardait cette bienfaisance comme un devoir de justice ; il ne croyait pas (comme nous l’avons dit) qu’il fût permis d’avoir du superflu, lorsque d’autres hommes n’ont pas même le nécessaire ; mais ses dons, si peu proportionnés à la médiocrité de sa fortune, ne suffisaient pas au besoin que son cœur avait de faire du bien ; son temps, le crédit de ses amis, l’autorité que lui donnaient son génie et ses vertus, tout appartenait également aux malheureux et aux opprimés. En lisant ses ouvrages, on est étonné que la vie d’un seul homme ait suffi à tant de travaux, et les soins de la bienfaisance et de l’amitié en ont rempli la moitié ; et il y sacrifiait sans peine, nous ne disons pas une partie de sa gloire, ce sacrifice coûte peu aux hommes capables de véritables affections, mais l’attrait puissant qui l’entraînait au travail. Son zèle pour le progrès des sciences et la gloire des lettres ne se bornait pas à y contribuer par ses ouvrages, il devenait le bienfaiteur, l’appui, le conseil de tous ceux qui, dans leur jeunesse, annonçaient du talent ou montraient du zèle pour l’élude : souvent il a éprouvé de l’ingratitude ;