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ÉLOGE DE M. BOUVART.


autant que ses succès, et l’on ne peut guère espérer qu’il ait le courage de les avouer, s’il n’est attaché à son élève par un sentiment devant lequel l’amour propre n’ose se faire entendre.

Une double carrière semblait s’ouvrir à M. Bouvart, celle des sciences et celle de la médecine. Appelé dans cette Académie en 1743, bientôt après professeur au collège royal, il pouvait espérer, en suivant la carrière des sciences, une célébrité plus prompte et une vie plus paisible : le spectacle de la souffrance et de la destruction n’aurait point attristé toutes ses journées ; cependant il préféra la médecine, entraîné peut-être par ce sentiment précieux qui attache l’homme aux maux de son semblable, même lorsqu’ils le déchirent, et semble exister au fond de notre âme indépendamment d’une espérance réfléchie de les soulager.

J’ai désiré la célébrité dans ma première jeunesse, disait M. Bouvart à M. de Genne, mais j’en ai été bientôt désabusé, et je ne suis plus sensible qu’à la gloire d’être utile aux hommes.

Ceux qui pensent qu’on ne peut en mépriser sincèrement aucune, seront du moins forcés d’avouer que M. Bouvart eut un esprit assez supérieur pour se juger lui-même ; mérite bien rare, comme l’atteste l’exemple de tant d’hommes qu’on voit s’obstiner à poursuivre, dans une carrière pour laquelle ils ne sont pas nés, une gloire qui les fuit toujours ; souvent même y consumer inutilement des talents qui les appelaient à d’autres occupations, et payer, par la perte de leur existence entière, une première er-