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ÉLOGE DE M. EULER.

Nous désirerions que la reconnaissance de M. Euler se fût bornée à une protection si noble et si digne de lui ; mais on ne peut se dissimuler qu’il n’ait montré trop de dureté dans ses réponses à Kœnig ; et c’est avec douleur que nous sommes obligés de compter un grand homme parmi les ennemis d’un savant malheureux et persécuté. Heureusement toute la vie de M. Euler le met à l’abri d’un soupçon plus grave ; sans cette simplicité, cette indifférence pour la renommée, qu’il a montrées constamment, on aurait pu croire que les plaisanteries d’un illustre partisan de M. Kœnig (plaisanteries que M. de Voltaire lui-même a depuis condamnées à un juste oubli) avaient altéré le caractère du sage et paisible géomètre ; mais s’il fit alors une faute, c’est à l’excès seul de la reconnaissance qu’il faut l’attribuer ; et c’est par un sentiment respectable qu’il a été injuste une seule fois dans sa vie.

Les Russes ayant pénétré dans la Marche du Brandebourg, en 1760, pillèrent une métairie que M. Euler avait auprès de Charlotembourg : mais le général Tottleben n’était pas venu faire la guerre aux sciences : instruit de la perte que M. Euler avait essuyée, il s’empressa de la réparer, en faisant payer le dommage à un prix fort au-dessus de la valeur réelle ; et il rendit compte de ce manque d’égards involontaire à l’impératrice Elisabeth, qui ajouta un don de quatre mille florins à une indemnité déjà beaucoup plus que suffisante. Ce trait n’a point été connu en Europe, et nous citons avec enthousiasme quelques actions semblables que les anciens nous ont