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ÉLOGE DE PASCAL.


lait pas employer en superfluités un bien auquel les pauvres, privés du nécessaire, avaient, selon lui, un droit plus sacré que celui de la propriété. Telle fut, à la fin de sa vie, la source de cette fantaisie respectable, d’avoir dans son appartement un pauvre à qui il eût voulu qu’on rendît les mêmes soins qu’à lui-même [1]. Peu de jours avant sa mort, l’enfant d’un homme qu’il logeait chez lui par humanité fut attaqué de la petite-vérole. Il fallait que l’un ou l’autre fût transporté, parce que Pascal avait besoin du secours de sa sœur, qui eût craint pour ses enfants la contagion de la petite-vérole. Une opinion bien ou mal fondée faisait regarder ce transport comme dangereux pour l’enfant ; Pascal voulut donc avoir la préférence, et il sortit de chez lui, quoique malade lui-même et épuisé par de longues douleurs. Il jugea, entre cet enfant et lui, comme un homme

  1. Madame Perrier prétend que le projet de Pascal, s’il avait pu guérir, était de se consacrer tout entier au service des pauvres. Il est douteux que Pascal eût été un bon garde-malade ; et il ne l’est pas qu’il eût pu faire de sa vie un usage plus utile à l’humanité. Les scieurs de pierres sont plus nécessaires que les architectes ; mais ce n’est pas une raison pour que Vitruve passe sa vie à scier des pierres.

    La véritable vertu consiste à faire, de toutes ses facultés, l’emploi dont il résultera le plus de bien pour les hommes. Il est des vertus pour tous les degrés d’esprit, comme il en est pour tous les états. La vertu d’un homme de génie ne doit pas plus être celle d’une sœur d’hôpital, que la vertu d’un roi ne doit être la vertu d’un moine ; et T..... se fût rendu aussi coupable en refusant d’administrer un grand empire, que tant d’autres ont pu l’être en ne refusant pas.