Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/208

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travaux de la société sont exercés par des esclaves. C’est toujours en supposant une nation avilie que les anciens ont cherché les moyens d’en élever une autre à toutes les vertus dont la nature humaine est capable. L’égalité qu’ils voulaient établir entre les citoyens, ayant constamment pour base l’inégalité monstrueuse de l’esclave et du maître, tous leurs principes de liberté et de justice étaient fondés sur l’iniquité et la servitude. Aussi n’ont-ils pu jamais échapper à la juste vengeance de la nature outragée. Partout ils ont cessé d’être libres, parce qu’ils ne voulaient pas souffrir que les autres hommes le fussent comme eux.

Leur indomptable amour de la liberté n’était pas la passion généreuse de l’indépendance et de l’égalité, mais la fièvre de l’ambition et de l’orgueil ; un mélange de dureté et d’injustice corrompait leurs plus nobles vertus : et comment une liberté paisible, la seule qui puisse être durable, aurait-elle appartenu à des hommes qui ne pouvaient être in-dépendants qu’en exerçant la domination, et vivre avec leurs concitoyens comme avec des frères, sans traiter en ennemis le reste des hommes ? Que cependant ceux qui aujourd’hui se vantent d’aimer la liberté en condamnant à l’esclavage des êtres que la nature a faits leurs égaux ne prétendent pas même à ces vertus souillées des peuples antiques ; ils n’ont plus pour excuse ni le préjugé de la nécessité, ni l’invincible erreur d’une coutume universelle ; et l’homme vil, dont l’avarice tire un honteux profit du sang et des souffrances de ses semblables, n’appartient