Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/257

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longtemps avant l’époque où ils ont pu apprendre à les employer dans un autre ; et dans les ouvrages scientifiques, au lieu de chercher à perfectionner en quelque sorte ce sens vulgaire à l’aide d’une analyse rigoureuse, et de lui donner, par ce moyen, la précision qu’exige le langage philosophique, on a presque toujours employé la méthode des définitions abstraites. Dans l’instruction, on doit suivre une marche contraire, et faire en sorte que ces mots, même lorsqu’ils sont employés dans l’usage commun, aient pour les élèves la rigueur et la précision du sens philosophique. Il faut que l’homme et le philosophe ne soient pas en quelque sorte deux êtres séparés, ayant une langue, des idées, et même des opinions différentes. Sans cela, comment la philosophie, qui n’est que la raison rendue méthodique et précise, deviendrait-elle jamais usuelle et vulgaire ? Ainsi, dans toute l’étude des sciences morales, on aura soin de substituer l’analyse aux définitions, et de ne nommer une idée qu’après l’avoir fixée dans l’esprit des élèves en les obligeant à l’acquérir, à l’analyser, à la circonscrire eux-mêmes. C’est alors que la justesse, qui dépend uniquement de la précision dans les idées, pourra devenir vraiment générale, et ne restera plus le partage exclusif des hommes qui ont cultivé leur esprit ; c’est alors que la raison, devenue populaire, sera vraiment le patrimoine commun des nations entières ; c’est alors que cette justesse s’étendant sur les idées morales, on verra disparaître cette contradiction, honteuse pour l’esprit humain, d’une sagacité qui pénètre les