Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/274

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toujours ceux qui se livrent uniquement à la pratique : ils ont besoin d’artifice, soit pour cacher aux yeux des hommes éclairés que leur mérite se borne presque à la patience, à la facilité qui naît de l’habitude, aux connaissances de détail qu’elle seule peut donner ; soit pour placer la gloire de leurs petites inventions à côté de celle qui récompense les véritables découvertes, et dissimuler leur infériorité sous le masque d’une utilité qu’ils exagèrent. Les administrateurs ignorants deviennent aisément la dupe de cet artifice. La science d’un habile constructeur de ponts et celle de d’Alembert sont placées trop au-dessus d’eux pour qu’ils puissent en apprécier la différence, et celui qui exécute ce que les bornes étroites de leurs connaissances ne leur permettent pas d’entendre est pour eux un grand homme. L’ignorance ne repose jamais avec plus de sécurité que dans le sein de la charlatanerie, et les bévues de ceux qui ont l’autorité de décider sans la faculté de juger offriraient à l’observateur philosophe un spectacle souvent comique, s’il était possible d’oublier les maux qui en sont la suite. Par la même raison l’on doit préférer les parties de la physique qui sont utiles dans l’économie domestique ou publique, et ensuite celles qui agrandissent l’esprit, qui détruisent les préjugés et dissipent les vaines terreurs ; qui, enfin dévoilant à nos yeux le majestueux ensemble du système des lois de la nature, éloignent de nous les pensées étroites et terrestres, élèvent l’âme à des idées immortelles, et sont une école de philosophie plus encore qu’une leçon de science.