Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/338

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L’instruction morale doit avoir pour but de fortifier les habitudes vertueuses, et de prévenir ou de détruire les autres.


La morale ne doit pas se borner uniquement à des préceptes ; il faut accoutumer les hommes à réfléchir sur leurs propres actions, à savoir les juger d’après ces préceptes. Il faut, sinon perfectionner, du moins conserver en eux le sens moral[1] qu’ils ont reçu de la nature, et que l’instruction a développé. La plupart des hommes ne trouvent dans la vie commune que des devoirs simples, journaliers, faciles à remplir ; et leur sens moral s’affaiblirait si, en mettant sous leurs yeux les actions des autres hommes, on n’exerçait point, par les mouvements qu’ils excitent en eux, par les jugements qu’ils sont alors forcés de faire, ce sentiment intime si prompt, si délicat dans ceux qui l’ont cultivé, si lent, si grossier dans presque tous les autres. Ces exemples s’attachent à chaque précepte, le gravent dans la mémoire à côté d’eux,

  1. J’entends ici par sens moral la faculté d’éprouver divers degrés de plaisir ou de peine, par le souvenir de nos actions passées, le projet de nos actions futures, le spectacle ou le récit de celles des autres. Cette faculté est une suite nécessaire de la sensibilité physique réunie à la mémoire ; et on en peut expliquer l’origine et les phénomènes sans recourir à l’hypothèse de l’existence d’un sens particulier, comme celui de la vue et de l’ouïe. Quand on prend ce sentiment et non le raisonnement pour guide d’une action réfléchie ou pour motif d’un jugement, il prend le nom de conscience.