Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/357

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présentant, soit un conte, soit (pourvu que le merveilleux y ait été ménagé) une histoire absolument disparate. Or, ce double sens, si sensible dans cet exemple, n’est pas moins réel dans la plupart des livres. Il existe entre les hommes dont l’esprit est exercé et les autres, la même différence qu’entre ceux qui ont ou qui n’ont pas la clef de l’allégorie. Comment donc s’instruire dans les livres, si on n’a pas appris à les bien entendre ?

Les éléments très simples de ce qu’on appelle critique ne sont pas moins nécessaires ; il faut distinguer les caractères et les degrés de l’autorité que donne aux faits ou le genre des livres qui les renferment, ou le nom des auteurs, ou le style et le ton de l’ouvrage, ou, enfin, la nature même de ces faits ; il faut savoir se décider entre les témoignages opposés, et pouvoir reconnaître quand l’accord de ces témoignages devient un signe de vérité.

Le premier mouvement des hommes est de prendre littéralement et de croire tout ce qu’ils lisent comme tout ce qu’ils entendent. Plus celui qui n’a pas appris à se défendre de ce mouvement lira de livres, plus il deviendra ignorant ; car on ne sait que des vérités, et toute erreur est ignorance. La lecture n’apprendrait rien à un homme armé d’une défiance aveugle ; celui, au contraire, qui, résistant à cette impression, n’admet que ce qui est prouvé, et demeure dans le doute sur tout le reste, ne trouvera dans les livres que des vérités.