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Il se forma bientôt en Europe une classe d’hommes moins occupés encore de découvrir ou d’approfondir la vérité, que de la répandre ; qui, se dévouant à poursuivre les préjugés dans les asiles où le clergé, les écoles, les gouvernemens, les corporations anciennes les avoient recueillis et protégés, mirent leur gloire à détruire les erreurs populaires, plutôt qu’à reculer les limites des connoissances humaines, manière indirecte de servir à leurs progrès, qui n’étoit ni la moins périlleuse, ni la moins utile.

En Angleterre, Collins et Bolingbroke, en France, Bayle, Fontenelle, Voltaire, Montesquieu et les écoles formées par ces hommes célèbres, combattirent en faveur de la vérité, employant tour à tour toutes les armes que l’érudition, la philosophie, l’esprit, le talent d’écrire peuvent fournir à la raison ; prenant tous les tons, employant toutes les formes, depuis la plaisanterie jusqu’au pathétique, depuis la compilation la plus savante et la plus vaste, jusqu’au roman, ou au pamphlet du jour ; couvrant la vérité d’un voile qui ménageoit les yeux trop foibles, et laissoit le plaisir de la deviner ; ca-